
Ce 27 mai, à l'occasion de la journée nationale de la Résistance, le Service d'Information du Gouvernement a posté sur ses réseaux une courte vidéo générée par l'Intelligence Artificielle, à propos de la Libération... Jusqu'ici, très bonne idée.
Selon les propos du SIG, cette vidéo s'inspirait de la vie de Madeleine Riffaud, Résistante disparue à l'âge de 100 ans, le 6 novembre 2024. C'est formidable de voir les institutions françaises s'intéresser au parcours de Madeleine, mais encore faut-il être précis.
Cette vidéo a été retirée dès le lendemain, car elle contenait de nombreuses erreurs historiques. L'intention était bonne, alors, où est le problème ?
Tout d'abord, on voit cette Madeleine virtuelle portant un brassard tricolore, alors qu'elle est censée être dans la clandestinité, car elle poste un message "secret". Les deux ne peuvent en aucun cas être concomitants : Porter un brassard FFI devant les Allemands, c'était le meilleur moyen de se faire arrêter, et une fois qu'il était possible d'en porter un, inutile de rester discret.
Il est également écrit que la France est libérée en 1944. Je pense qu'il y a confusion avec la Libération de Paris, le 25 août 1944. Si, en vérité, de nombreuses villes sont en effet libérées cette année-là, il restait des poches d'occupation allemande, ne serait-ce qu'en Bretagne, jusqu'au 8 mai 1945, date de la libération effective de la France.
On distingue un drapeau Japonais à une fenêtre dans la dernière séquence, la même dans laquelle on voit un soldat Allemand avec casque et uniforme, faisant donc parti des forces d'occupation qui viennent de perdre le ville, se réjouir avec la foule. C'est une aberration historique.
Madeleine Riffaud était notre amie depuis mai 2017, et nous travaillions ensemble. Il n'est pas question de parler à sa place, mais il est certain qu'elle aurait hurlé, en apprenant que ses témoignages sur la période avaient ainsi mal utilisés, elle qui se faisait une règle d'être particulièrement rigoureuse.
Elle m'aurait d'ailleurs fait remarquer qu'elle-même n'avait pas manifesté de joie lors du jour de la Libération de Paris, car elle avait perdu trop d'amis durant m'occupation. La tristesse l'a rattrapée, au milieu de le liesse générale. Or, dans la vidéo, son double virtuel défile avec un grand sourire.
Elle aurait voulu faire savoir à la presse, au nom de ses camarades tués pendant cette période, qu'on ne badine pas avec l'Histoire.
À la demande de Raymond Aubrac en 1993, elle a consacré des années à raconter ses souvenirs de cette période, pour éviter ce genre d'erreurs. Il est assez alarmant de constater, pendant ces années qui voient la disparition des derniers témoins, que l'intrusion des machines génératives vient piétiner le travail de toutes leurs vies.
L'histoire des êtres humains ne doit pas être confiée des machines, sous peine d'être réécrite.
Bien sûr, ce sont des humains qui ont eu l'idée de cette vidéo et l'ont postée sur les réseaux. C'est bien souvent le problème avec les personnes qui utilisent l'IA générative : Les "concepteurs" ont trop confiance en elle et ne vérifient rien. C'est pourtant le travail des historiennes et historiens, et je suis bien placé pour savoir qu'il y en a des formidables, qui auraient pu – auraient dû ! - être consultés.
Ici, la bévue provient d'un service gouvernemental mais cette tribune n'est pas faite pour les accuser particulièrement. Ce n'est en aucun cas une charge politique. Madeleine, qui refusait d'être récupérée, disait ce qu'elle pensait à tout le monde, quel que soit son obédience. Nous avons rencontré énormément de gens de bonne volonté dans les instances officielles, et dans quasi tous les partis politiques (devinez celui qui ne l'a jamais aidée...) qui ont soutenu Madeleine dans des moments cruciaux de sa vie. Devrais-je dire, de sa survie.
Dans ce cas précis, nous ne pouvons pas penser qu'il s'agisse d'une manipulation de l'histoire intentionnelle, car il n'y a aucune raison à cela. Mais il est évident que l'IA - même si elle est vitale dans les domaines de la science et de la médecine - peut parfois être utilisé à des fins de propagande. La manipulation des images, et donc des faits historiques à des fins politiques, a de tout temps été utilisée par des dictatures. Il ne faut pas s'engager sur cette pente glissante.
Nous, les auteurs, soucieux de sa mémoire et du droit moral que Madeleine Riffaud nous a confié, condamnons l'utilisation de l'IA générative dans le domaine de l'Histoire et de la création au sens large, et nous engageons à ne jamais l'utiliser.
Dominique Bertail, Éloïse de la Maison, Jean-David Morvan
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