À l'occasion de la sortie de Philiations tome 1/2, l'auteur Gwen de Bonneval se livre sur les raisons qui l'ont poussé à écrire ce récit très personnel qui résonne avec les problématiques de notre temps.
Qu'est-ce qui vous a motivé à partager votre histoire personnelle à travers la bande dessinée ?
Le point de départ, c'est une angoisse existentielle en 2014 face à l'état du monde, au moment où je devenais père. Passée la sidération, je me suis demandé ce que je pouvais faire d'où j'étais, avec mes moyens limités, pour aider à nous projeter dans la moins mauvaise direction possible... Mon premier réflexe a été d'envisager de réaliser une bande dessinée de type "lanceur d'alerte".
Je n'ai finalement pas voulu parler à la place des autres ni expliquer aux gens ce qu'ils devaient faire. Il y a aujourd'hui assez de livres à tendance didactique sans que j'en ajoute un. En tout cas, cela ne m'a paru pertinent ni pour moi-même, ni sur le moyen et le long terme. J'ai alors ressenti le besoin d'une démarche radicale, en prenant pour la première fois "ma vie" comme sujet. Partager une expérience sensible, empirique, m'est apparu comme la voie la plus juste, la plus appropriée et, je l'espère, la plus honnête pour aborder les sujets qui me tenaient à coeur... en imaginant que, peut-être, par écho, cela pourrait toucher de façon intime les lecteurs et lectrices de Philiations.
Pourquoi avez-vous choisi de parler de ces moments-clés de votre vie : la vie de votre grand-père, ancien déporté et aide de camp du général de Gaulle, de votre enfance difficile, de votre vie de jeune papa ainsi que des enjeux écologiques actuels ?
Il m'a semblé indispensable de devoir partir de ce que je connaissais, de ce que j'avais pu ressentir, éprouver, de tous ces éléments qui ont fait l'être humain que je suis aujourd'hui. Nous sommes le résultat de notre vécu, de notre milieu, de notre société, de notre époque. Ce que je deviens individuellement, je ne le dois pas qu'à moi, il est le fruit de la trame et des liens m'unissant au monde, aux humains et autres vivants. La personne que je suis devenue influence ensuite à son tour le monde et participe à une culture commune. Le "récit de soi" et le "récit commun" sont inextricablement liés, tout autant que le sont à différents degrés nos responsabilités individuelles et collectives. J'ai cru voir dans mon histoire personnelle et familiale des éléments qui, une fois "mis en musique", permettaient de faire dialoguer ces différents plans pour former un récit portant sa propre cohérence.
Comment avez-vous conjugué le récit de votre passé et celui de votre présent ?
J'ai choisi de développer plusieurs fils en rebondissant sur les thèmes et les sujets plutôt que sur un déroulement purement chronologique. Pour ne pas perdre les lecteurs et les lectrices – ni me perdre moi-même – j'ai dû inventer des repères, souvent visuels, en faisant appel à des codes couleurs selon les périodes que j'abordais. Les allers-retours entre ces différentes temporalités s'articulent malgré tout autour d'un "fil rouge" principal qui est le déroulé du récit de l'enfance. Les multiples fils évoluent, se rejoignent et s'intriquent pour former in fine un maillage, un "tissu narratif organique", en écho à la "toile du vivant".
Quel(s) message(s) souhaitez-vous transmettre à travers ce récit ?
Je ne cherche pas tant à faire "passer des messages" qu'à proposer une expérience, une démarche, une invitation à se situer dans le fil de nos vies. Philiations est une autobiographie qui interroge le processus nous amenant à habiter le monde tel que nous le faisons. Les humains ont besoin de sens pour justifier leur place dans ce monde. Comme nous avons le plus grand mal à comprendre et appréhender le réel dans toute sa complexité, nous pallions nos incapacités par la création de "fictions". Fictions utiles mais souvent réductrices et difficiles à remettre en question, car elles façonnent nos identités, la marche et l'ordre du monde. Ces récits sont déterminants pour l'avenir du vivant dans son ensemble. C'est pourquoi il me semble fondamental de les interroger, de les remettre en question, afin d'établir non seulement des "récits de soi" mais des "récits de nous"... Et pourquoi ne pas commencer par reformuler nos fameuses questions existentielles de la façon suivante : "Qui sommes-nous- je ? D'où venons-nous-je ? Où allons-nous-je ?"
Philiations - tome 1/2 par Gwen de Bonneval - disponible en librairie.
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